« Soft-skills » : Effet de mode ou nécessité ? Et quel rôle pour la Direction des Ressources Humaines ?
Comme dans de nombreuses disciplines des sciences sociales, il existe bien peu de vérité en matière de « Ressources Humaines ». Il est par conséquent indispensable d’interroger et de comprendre les attentes spécifiques de chaque entreprise, liée à son contexte, à son stade de développement, à ses objectifs ou à ses projets, …, pour pouvoir y apporter des réponses adéquates.
D’un point de vue opérationnel, les services RH sont toujours attendus sur un certain nombre de fondamentaux : le recrutement, la gestion de la mobilité, la gestion des talents, le leadership des managers, la politique de rémunérations,… et depuis quelques années, nous voyons émerger des demandes récurrentes visant au développement des soft-skills. Effet de mode ou nécessité, chacun a son avis. Pour notre part, nous pensons que c’est « effet de mode » ET « nécessité » !
Les soft-skills, c’est-à-dire les savoir-être, ne sont pas nouveaux et les entreprises ont depuis longtemps identifié pour chaque fonction les savoir-être attendus. Dans les programmes « talents », les savoir-être occupent souvent une place importante.
Alors pourquoi les savoir-être sont-ils devenus si importants aujourd’hui ? Sans doute parce qu’ils constituent un des rares facteurs différenciant : Les savoirs & savoir-faire sont désormais accessibles partout, facilement et souvent gratuitement ou presque. Cela ne ringardise pas ces compétences, mais leur libre accès ne leur donne plus d’avantage concurrentiel, et par conséquent réduit leur valeur ajoutée pour l’entreprise vis à vis de ses concurrents.
Dès lors, telle une pyramide de Maslow, où l’on accède au stade supérieur qu’une fois le stade inférieur satisfait, il faut aller chercher de nouvelles compétences qui vont faire la différence. Nous sommes donc entrés dans l’ère, où les savoirs & savoir-faire étant acquis, il faut investir et développer les savoir-être pour procurer à l’entreprise une valeur ajoutée supplémentaire.
Attention cependant à ne pas succomber à l’effet de mode et tomber dans la toute-puissance des savoir-être ! C’est le risque encouru par les entreprises qui l’appliqueraient sans avoir pris le temps d’une réflexion en amont sur leur contexte et leurs besoins.
Tout comme pour la réflexion stratégique de la fonction RH, où il ne s’agit pas de faire de la RH pour de la RH, mais de servir l’entreprise en fonction de son contexte, de ses objectifs, …, il en est de même pour les savoir-être : quels sont ceux qui vont permettre aux collaborateurs, managers et dirigeants, compte tenu du contexte qui est le leur et de leurs objectifs, d’avoir une valeur ajoutée supplémentaire, de gagner en qualité ou en efficacité, pour in fine permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs ou être meilleure que ses concurrents.
Les organismes de formation, les revues RH s’en donnent actuellement à cœur joie (comme nous le faisons nous-même avec cet article !), et c’est bien naturel. Les mots « créativité », « agilité », « collaboration », sont cités partout. L’enjeu pour les services RH est de répondre aux réels besoins et enjeux de l’entreprise, des différentes directions et des métiers, sans tomber dans le « il faut faire » parce que tout le monde sur le marché le fait. Cette capacité de recul est essentielle. C’est dans la compréhension des objectifs stratégiques, dans l’échange avec les directions opérationnelles sur l’évolution de leurs métiers, de leurs clients, que pourront émerger des besoins réels et justifiés. Ils répondront à la question « Pour Quoi » ?
Une fois les besoins identifiés, la mise en œuvre n’est pas forcément simple. Contrairement aux savoir-faire, les savoir-être touchent directement la personne, souvent de façon profonde. Comment développer des compétences qui ont parfois été marginalisées dans les processus de construction personnelle, voire parfois (inconsciemment) écartées ? Sans vouloir minimiser l’acquisition de savoir-faire, le développement de savoir-être relève d’une complexité bien supérieure. Cela vient parfois heurter certaines valeurs ou croyances établies. L’injonction ou le top-down ne peuvent pas être utilisés comme méthodes d’apprentissage. C’est davantage par des techniques d’animation collective et de développement personnel que peuvent s’opérer ces apprentissages. Sans compter sur la nécessaire et indispensable demande ou acceptation de ces apprentissages par la personne concernée.
Des apprentissages qui nécessitent également du temps. Mais ces temps longs de transformation individuelle sont-ils compatibles avec les temps courts d’exigence des résultats aujourd’hui. C’est un dilemme supplémentaire auquel les dirigeants sont confrontés.
Parmi ces savoir-être, certains vont concerner tous les collaborateurs de l’entreprise, alors que d’autres seront liés à certains métiers ou à certaines directions, voire dans des entreprises « libérées » à certains rôles.
Intéressons-nous aux savoir-être collectifs, ceux souhaités pour l’ensemble de l’entreprise, quels que soient les niveaux hiérarchiques et/ou métiers. Nous sommes là dans une évolution consciente et souhaitée de la culture d’entreprise. Comment opérer ? C’est traditionnellement le rôle de la Direction des Ressources Humaines d’être aux manettes et de mobiliser les équipes aux transformations nécessaires. Mais comment pourrait-elle le faire sans elle-même incarner ce qu’elle revendique et souhaite mettre en place dans les autres directions ?
Comme on peut le voir, quels que soient les soft-skills identifiés et choisis par l’entreprise, c’est au sein même de la Direction des Ressources Humaines que les comportements souhaités dans l’entreprise doivent être expérimentés et développés : responsabilisation, collaboration, autonomie, adaptabilité, créativité, … Non seulement cette dernière gagnera en compétences en les développant, mais surtout, elle augmentera sa légitimité et pourra ainsi promouvoir et/ou essaimer ces compétences partout dans l’entreprise.
Dominique Thibonnet