La Convention 2023 Diversité & Inclusion en Entreprise poursuit son exploration captivante avec la deuxième table ronde, mettant en lumière le rôle central du manager dans le réacteur de la D&I !
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Comme dans de nombreuses disciplines des sciences sociales, il existe bien peu de vérité en matière de « Ressources Humaines ». Il est par conséquent indispensable d’interroger et de comprendre les attentes spécifiques de chaque entreprise, liée à son contexte, à son stade de développement, à ses objectifs ou à ses projets, …, pour pouvoir y apporter des réponses adéquates.
D’un point de vue opérationnel, les services RH sont toujours attendus sur un certain nombre de fondamentaux : le recrutement, la gestion de la mobilité, la gestion des talents, le leadership des managers, la politique de rémunérations,… et depuis quelques années, nous voyons émerger des demandes récurrentes visant au développement des soft-skills. Effet de mode ou nécessité, chacun a son avis. Pour notre part, nous pensons que c’est « effet de mode » ET « nécessité » !
Les soft-skills, c’est-à-dire les savoir-être, ne sont pas nouveaux et les entreprises ont depuis longtemps identifié pour chaque fonction les savoir-être attendus. Dans les programmes « talents », les savoir-être occupent souvent une place importante.
Alors pourquoi les savoir-être sont-ils devenus si importants aujourd’hui ? Sans doute parce qu’ils constituent un des rares facteurs différenciant : Les savoirs & savoir-faire sont désormais accessibles partout, facilement et souvent gratuitement ou presque. Cela ne ringardise pas ces compétences, mais leur libre accès ne leur donne plus d’avantage concurrentiel, et par conséquent réduit leur valeur ajoutée pour l’entreprise vis à vis de ses concurrents.
Dès lors, telle une pyramide de Maslow, où l’on accède au stade supérieur qu’une fois le stade inférieur satisfait, il faut aller chercher de nouvelles compétences qui vont faire la différence. Nous sommes donc entrés dans l’ère, où les savoirs & savoir-faire étant acquis, il faut investir et développer les savoir-être pour procurer à l’entreprise une valeur ajoutée supplémentaire.
Attention cependant à ne pas succomber à l’effet de mode et tomber dans la toute-puissance des savoir-être ! C’est le risque encouru par les entreprises qui l’appliqueraient sans avoir pris le temps d’une réflexion en amont sur leur contexte et leurs besoins.
Tout comme pour la réflexion stratégique de la fonction RH, où il ne s’agit pas de faire de la RH pour de la RH, mais de servir l’entreprise en fonction de son contexte, de ses objectifs, …, il en est de même pour les savoir-être : quels sont ceux qui vont permettre aux collaborateurs, managers et dirigeants, compte tenu du contexte qui est le leur et de leurs objectifs, d’avoir une valeur ajoutée supplémentaire, de gagner en qualité ou en efficacité, pour in fine permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs ou être meilleure que ses concurrents.
Les organismes de formation, les revues RH s’en donnent actuellement à cœur joie (comme nous le faisons nous-même avec cet article !), et c’est bien naturel. Les mots « créativité », « agilité », « collaboration », sont cités partout. L’enjeu pour les services RH est de répondre aux réels besoins et enjeux de l’entreprise, des différentes directions et des métiers, sans tomber dans le « il faut faire » parce que tout le monde sur le marché le fait. Cette capacité de recul est essentielle. C’est dans la compréhension des objectifs stratégiques, dans l’échange avec les directions opérationnelles sur l’évolution de leurs métiers, de leurs clients, que pourront émerger des besoins réels et justifiés. Ils répondront à la question « Pour Quoi » ?
Une fois les besoins identifiés, la mise en œuvre n’est pas forcément simple. Contrairement aux savoir-faire, les savoir-être touchent directement la personne, souvent de façon profonde. Comment développer des compétences qui ont parfois été marginalisées dans les processus de construction personnelle, voire parfois (inconsciemment) écartées ? Sans vouloir minimiser l’acquisition de savoir-faire, le développement de savoir-être relève d’une complexité bien supérieure. Cela vient parfois heurter certaines valeurs ou croyances établies. L’injonction ou le top-down ne peuvent pas être utilisés comme méthodes d’apprentissage. C’est davantage par des techniques d’animation collective et de développement personnel que peuvent s’opérer ces apprentissages. Sans compter sur la nécessaire et indispensable demande ou acceptation de ces apprentissages par la personne concernée.
Des apprentissages qui nécessitent également du temps. Mais ces temps longs de transformation individuelle sont-ils compatibles avec les temps courts d’exigence des résultats aujourd’hui. C’est un dilemme supplémentaire auquel les dirigeants sont confrontés.
Parmi ces savoir-être, certains vont concerner tous les collaborateurs de l’entreprise, alors que d’autres seront liés à certains métiers ou à certaines directions, voire dans des entreprises « libérées » à certains rôles.
Intéressons-nous aux savoir-être collectifs, ceux souhaités pour l’ensemble de l’entreprise, quels que soient les niveaux hiérarchiques et/ou métiers. Nous sommes là dans une évolution consciente et souhaitée de la culture d’entreprise. Comment opérer ? C’est traditionnellement le rôle de la Direction des Ressources Humaines d’être aux manettes et de mobiliser les équipes aux transformations nécessaires. Mais comment pourrait-elle le faire sans elle-même incarner ce qu’elle revendique et souhaite mettre en place dans les autres directions ?
Comme on peut le voir, quels que soient les soft-skills identifiés et choisis par l’entreprise, c’est au sein même de la Direction des Ressources Humaines que les comportements souhaités dans l’entreprise doivent être expérimentés et développés : responsabilisation, collaboration, autonomie, adaptabilité, créativité, … Non seulement cette dernière gagnera en compétences en les développant, mais surtout, elle augmentera sa légitimité et pourra ainsi promouvoir et/ou essaimer ces compétences partout dans l’entreprise.
Dominique Thibonnet
Pourquoi juxtaposer ces deux concepts ? En quoi sont-ils liés ? S’influencent-ils ? Et dans quelle mesure ?
Quelle entreprise ne s’est pas heurtée à des résistances lorsqu’elle conduisait le changement ?
Dès lors, en quoi la culture peut-elle faciliter ou au contraire rendre plus difficile une conduite du changement ? Comment s’appuyer sur l’une pour mieux conduire l’autre ? Quels sont les points d’appui possibles et les écueils à éviter ?
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- La culture d’entrepriseLe sujet n’est pas nouveau et on trouve quelques ouvrages de référence sur le sujet. Il est cependant difficile de donner une définition précise de la culture d’entreprise. L’étymologie ne nous aide d’ailleurs pas beaucoup tant le mot « culture » renvoie à des sens différents.
Parmi les approches ou définitions proposées, celle-ci me paraît la plus imagée et la plus exploitable :« La culture est à l’entreprise ce que la personnalité est à l’individu »
Ainsi, la culture s’apparenterait à une forme de personnalité collective. Là où l’individu se caractérise par des comportements, produit de ses traits de personnalité, de ses valeurs, de ses émotions, de son histoire …, le groupe, c’est-à-dire la communauté d’individus constituant l’entreprise, se caractériserait par des comportements collectifs identifiables en fonction des situations rencontrées.
Dès lors et à l’extrême, au sein de l’entreprise tout est culture ! La gouvernance, l’organisation, les valeurs, les modes de décisions, les styles managériaux, le niveau de conflictualité, la coopération, … Elle est partout, et pourtant elle ne se voit pas, et on en parle pas ou peu !
La culture se renforce par cooptation et par exclusion des dissidents. Elle trouve sa légitimité dans la réussite de l’entreprise. Elle homogénéise les pratiques et en assure la stabilité. N’oublions pas qu’une des motivations les plus primitives de l’Homme est sa sécurité. La culture, en apportant un cadre lisible et stable, contribue à cette sécurité.
Si toutes les entreprises ont une culture, leur poids et/ou leur composition est différente. Dans des secteurs d’activité très normalisés comme la banque ou l’assurance, le rôle de la culture est primordial : c’est la seule différenciation possible pour les entreprises qui doivent se conformer à une très stricte réglementation, avec une capacité d’innovation faible, un même territoire, les mêmes produits, etc… Seule la culture permet alors à une entreprise d’être plus performante que sa voisine.
Des études universitaires ont mis en équation et montré l’importance de la culture dans la performance des entreprises.
- La conduite du changement Les éléments de langage changent, aujourd’hui on parle davantage de transformation qui caractérise une rupture plus forte qu’une évolution ou une adaptation au contexte.
Et ce, quel que soit le sujet : changement de marché, de produit, de processus industriel, de mode de travail, de mode managérial, voire même de gouvernance…La conduite du changement consiste à accompagner ces transformations. La littérature sur le sujet est nombreuse et de qualité, notamment anglo-saxonne mais aussi française. Il n’existe pas de « bible » ou de méthode unique, compte tenu de la variété des problématiques pouvant être rencontrées.De nombreuses entreprises de conseil se sont positionnées sur le thème de la conduite du changement en s’intéressant à l’organisation et aux processus. Mais les difficultés et les enjeux sont souvent ailleurs, sur le volet humain notamment. Les stratégies d’accompagnement proposées se focalisent dès lors sur la communication et sur la formation. Plus rarement sur le troisième pilier, qui est plus complexe, mais qui présente un effet de levier bien supérieur : l’adhésion des collaborateurs.
Parler de conduite du changement nous amène à parler de résistance au changement. Il s’agit des deux faces d’une même pièce. Les systèmes ayant pour vocation de se maintenir dans des états stables, ils luttent contre ce qu’ils perçoivent être des perturbations. Ce principe dit d’homéostasie est vrai pour de nombreux systèmes vivants que ce soit « un individu » ou « un groupe d’individus ».
Attention cependant, il faut ne pas confondre les principes d’adaptation continue de type Darwinien sur des durées longues, et des changements brutaux pour lesquels le système n’est pas préparé. - Culture d’entreprise et conduite du changement
Mais en quoi la culture d’entreprise intervient-elle dans cette réflexion sur la conduite du changement ? Quel est son rôle ? Va-t-elle permettre ou au contraire rendre plus difficile l’évolution, la transformation souhaitée ?La culture d’entreprise elle-même peut intégrer dans son ADN des composantes de stabilité ou au contraire d’adaptation, de transformation. Elle serait dès lors et dans ce cas soit un frein soit un levier sur lequel s’appuyer. Mais une culture qui valorise l’adaptation peut elle aussi se retrouver en difficulté lorsqu’il s’agit de changer quelque chose de structurant dans son modèle. Il n’est donc absolument pas certain que les entreprises jeunes et agiles qui éclosent aujourd’hui n’aient pas dans quelques années des difficultés à s’adapter à quelque chose de nouveau. Ma conviction est qu’elles auront autant de difficulté que les autres…D’une manière générale, la culture joue un rôle stabilisateur dans les organisations et de ce fait elle est « inconsciemment et collectivement » un frein au changement. C’est une donnée mécanique. Les décideurs, s’ils veulent pouvoir agir avec l’entreprise, avec l’ensemble de son corps social, et non contre lui, doivent intégrer cette dimension dans leur projet de transformation : analyser, conscientiser et verbaliser les évolutions culturelles pour s’appuyer sur elles et non aller contre.
La question du tempo est aussi un sujet important. Là où des dirigeant se sont posés des questions pendant des mois, voire des années, ont étudié des modèles différent, mesuré les risques et les impacts des transformations pour l’entreprise, et vouloir, dès lors qu’ils ont pris la décision, que « ça aille vite », révèle un empressement tactique compréhensible mais aussi un manque d’empathie. Nul ne peut leur reprocher d’avoir pris le temps de l’étude, car il s’agit parfois de décisions difficiles, et il ne s’agit pas de remettre en cause leur sens des responsabilités. Mais on peut parfois s’étonner de leur déficit de compréhension des dynamiques humaines, qu’elles soient individuelles ou collectives.
C’est par conséquent sur ces registres, individuels et collectifs, que l’accompagnement des équipes peut et doit se faire, dans la durée, selon des modes qui permettent la compréhension, l’acceptation puis l’adhésion au changement. Le prisme culturel permet d’aborder les sujets sans tabou, d’identifier et verbaliser les points d’une culture qui seront maintenus, et ceux pour lesquels une évolution est nécessaire. Et s’il est encore besoin de le rappeler, d’en comprendre le Sens …
- La culture d’entrepriseLe sujet n’est pas nouveau et on trouve quelques ouvrages de référence sur le sujet. Il est cependant difficile de donner une définition précise de la culture d’entreprise. L’étymologie ne nous aide d’ailleurs pas beaucoup tant le mot « culture » renvoie à des sens différents.
Dominique Thibonnet
Qu’est-ce qui détermine la prise de décision de vos collaborateurs ?
Est-ce que 1+1 font toujours 2 lorsqu’ils engagent leur subjectivité et leur responsabilité pour l’entreprise ?
Est-ce que la culture de votre entreprise encourage une prise de décision rapide et efficace ?
Rendezvouspsycho fait le point.
« On rougirait bientôt de ses décisions, si l’on voulait réfléchir sur les raisons pour lesquelles on se détermine » , écrivait Voltaire avec une conscience déjà vive des limites de notre rationalité. Et pourtant, rien ne semble plus rationnel que les décisions professionnelles. Vous vous demandez s’il faut réaliser cet investissement ? Rien de plus rationnel que de demander à des experts compétents une étude de rentabilité, et de prendre votre décision sur cette base. Faut-il aller conquérir de nouveaux marchés ? Vous évaluez les besoins à couvrir, vos chances de réussite, les risques d’une telle entreprise… Une fois les termes de l’équation bien posés, la décision devrait être naturelle.
L’expérience montre qu’il en va tout autrement. Le décideur est seul lorsqu’il décide, et c’est une épreuve qui n’a rien de mathématique. Seul face à lui-même, face au collectif auquel il appartient, à l’environnement qu’il peut considérer comme une opportunité ou une menace, à son histoire… Entrouvrons la boîte noire où se prennent les petites et grandes décisions pour des raisons… pas toujours avouables.
- Définitions
La prise de décision est un processus qui commence lorsqu’une solution apportée à un problème n’est plus satisfaisante pour répondre aux besoins du moment. Elle marque l’instant où le décideur prend personnellement la responsabilité de rétablir un précédent équilibre ou de rompre avec lui. Par ce processus, il se positionne au sein de son environnement. La prise de décision est donc un acte par lequel un collaborateur, quelle que soit sa fonction et son niveau de responsabilité, s’affirme en tant que sujet conscient de sa capacité à influencer le cours des choses. Décider, c’est prendre le risque de se différencier du groupe, c’est s’exposer personnellement à l’erreur et aux critiques, et c’est perdre le contrôle total de la suite des événements.
Ce processus est nécessairement angoissant. L’acte de décider est un acte solitaire qui engage la personne, et plus seulement le collaborateur. La solitude du décideur est peuplée d’expériences, d’histoires, d’émotions… contenues dans son expérience personnelle mais aussi dans la culture d’entreprise.
Qu’est-ce que la culture d’entreprise ? C’est un ensemble de valeurs et de croyances implicites qui s’est construit au cours de l’histoire de l’entreprise en réponse aux problèmes rencontrés, qui influence la manière des collaborateurs de travailler ensemble. Elle permet aux personnes de gagner un temps précieux pour échanger, se comprendre, se sentir en cohésion… Elle représente un étayage important qui permettra au collaborateur de se sentir comme faisant partie d’un tout qui le dépasse, le soutient, et par lequel il peut réaliser ce qu’il sait faire et se développer.Autrement dit, la culture d’entreprise est un soutien précieux pour le décideur. Elle lui permet de résoudre positivement l’angoisse inhérente au processus de décision, comme elle peut constituer pour lui un obstacle lorsqu’il faut prendre des décisions non conformes aux représentations véhiculées par la culture d’entreprise. S’il persévère dans ce dernier cas, le collaborateur devra payer de sa personne, au moins par l’énergie qu’il déploiera pour convaincre et faire adhérer son collectif.Etude de cas : Xavier est ingénieur. Il conçoit des équipements automobiles qui visent à sécuriser les voitures. Quand il prend des décisions, il veille à envisager toutes les parties du problème qui se posent à lui pour ne rien oublier. D’ailleurs, tous ses collègues sont perfectionnistes comme lui. Il en a vu qui ont eu des soucis de ne pas avoir assez pesé le pour et le contre. Cela fait trois ans qu’il est à ce poste. Il a de la chance parce que son manager lui fait entièrement confiance et lui laisse de bonnes marges d’action. Mais il a fallu deux bonnes années avant qu’il n’obtienne véritablement sa confiance…
En ce moment, il hésite entre deux composants dans son produit, dont chacun présente des avantages et des inconvénients. L’un appartient à une technologie de pointe qui, selon lui, sera utilisée dans toutes les voitures de demain. Il devrait augmenter la fiabilité des voitures de 50%, mais peu d’études ont encore été réalisées pour valider ses propriétés… (solution n°1) L’autre est un composant connu, dont il sait avec certitude qu’il améliore la fiabilité des véhicules de 30%. (solution n°2).
A votre avis, quel composant Xavier va-t-il choisir ?Dans son processus de décision, Xavier va être influencé par la manière de penser habituellement dans son entreprise, c’est-à-dire sa culture. Manifestement, l’erreur y est peu admise, et cela se comprend au regard des enjeux sécuritaires de son activité. Son responsable lui fait confiance parce qu’il sait qu’il a une approche systématique des choses. En revanche, le fait de prendre des risques ne semble pas valorisé.
Xavier se demande ce qu’il doit faire. La solution n°2 est conservatrice, et Xavier est sûr qu’il n’aura pas de problème en optant pour celle-là. On ne pourra jamais lui reprocher d’avoir été trop prudent dans une entreprise comme la sienne. D’un autre côté, il croit que cette technologie de pointe est porteuse d’avenir, et que cela pourrait représenter à terme un avantage concurrentiel.
Finalement pour Xavier, la question se pose en ces termes : va-t-il se mettre personnellement en risque dans l’entreprise pour introduire un nouveau composant qui peut, s’il a raison, améliorer sensiblement la sécurité des voitures de demain, mais qui peut tout aussi bien s’avérer décevant ? Posée en ces termes, on voit bien que l’acte de décider engage pleinement le décideur au sein de son groupe d’appartenance.
Cet engagement se fait bien plus tôt qu’il n’y parait, déjà au moment où le décideur collecte les informations qui lui seront utiles. - La collecte d’informations
D’un point de vue cognitif, notre rationalité est limitée . Nos capacités d’attention et de mémorisation ne sont pas infinies et nous opérons un tri plus ou moins conscient des informations qui nous parviennent. Nous laissons de côté les informations qui ont peu d’importance et nous retenons celles qui nous intéressent. Mais de façon plus inconsciente, il nous arrive d’écarter aussi les informations qui perturbent notre système de pensée. L’expérience menée par Thomas Kuhn est à ce titre très révélatrice. Lui-même chercheur en physique, il a voulu comprendre pourquoi un chercheur perçoit plus difficilement les données qui pourraient remettre en cause sa théorie. L’expérience est la suivante : il présente à des personnes, sur des temps très courts, des cartes à jouer, avec des piques rouges et des cœurs noirs. Il remarque que les personnes ressentent un malaise à la vue de ces cartes. Mais lorsqu’il leur demande ensuite ce qu’elles ont vu, elles déclarent avoir vu des cœurs rouges et des piques noirs.
Autrement dit, ces personnes ont déformé ce qui leur a été présenté pour rétablir l’écart avec le paradigme des cartes qu’elles connaissent habituellement. L’information reçue ne cadrant pas avec les connaissances des personnes, celles-ci l’ont distordue afin de réduire l’écart gênant qu’elle représentait avec leur système de pensée. D’un point de vue cognitif donc, le décideur qui pense en toute honnêteté être guidé par sa seule vision de l’avenir se trompe partiellement. Ce qu’il a appris par le passé influence le traitement de l’information qu’il reçoit.Transposons maintenant cette expérience au monde de l’entreprise. Le système de pensée du collaborateur est composé, au-delà de ses expériences propres, du patrimoine culturel de son entreprise. Dans le traitement qu’il va faire de l’information, il comparera plus ou moins consciemment l’information qui lui parvient avec le système de pensée de l’entreprise. On peut imaginer qu’une information trop « dérangeante » ne sera pas retenue par le décideur, la plupart du temps malgré lui.
Plus concrètement, il a été montré qu’un événement aussi dangereux qu’une éruption volcanique peut provoquer des réactions opposées selon la connaissance qu’a la population de ces phénomènes. Plus les personnes connaissent ces phénomènes, plus elles les ont tendance à les banaliser. C. Bourion recense plusieurs cas où des populations prévenues de l’imminence d’une éruption et en ayant déjà connu par le passé, n’ont malheureusement pas voulu quitter leur domicile et ont été décimées. En revanche, les populations alertées du risque n’ayant jamais connu cette situation auparavant ont quitté plus facilement leur domicile. Paradoxalement ici, c’est l’inexpérience qui a permis d’avoir un traitement juste de l’information. Les populations qui n’ont pas quitté leur domicile n’ont pas pu remettre en cause le paradigme construit au fil de leur histoire selon lequel le volcan ne représentait pas un danger pour eux (les psychologues pourraient parler ici de « formation réactionnelle » : la présence du danger est transformée en attitude de défiance vis-à-vis du danger). En revanche, là où il y a inexpérience, l’ouverture et l’écoute semblent naturellement plus naturelles.
Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il faut rechercher des collaborateurs inexpérimentés. Mais cela signifie que le décideur doit pouvoir remettre en cause son système de pensée avant de décider. Ce qu’il a intériorisé de l’expérience de l’entreprise, quelle que soit son ancienneté, influence le traitement qu’il peut faire de l’information qui lui parvient : évolution du marché, nouvelles technologies, évolution de la réglementation… Autant d’inconnues dont il peut ou non percevoir les impacts sur sa propre activité. - La pesée du pour et du contre
Une fois que le décideur a sélectionné les informations qu’il va prendre en compte dans sa décision, vient le moment de l’hésitation. C’est la phase la plus anxiogène du processus, où le décideur est vraiment seul. En support des paramètres objectivables qu’il prend en considération, des paramètres d’un autre ordre entrent en ligne de compte, parfois à son insu.
Les émotions associées aux informations en premier lieu. C’est ce qu’ont démontré D. Kahneman et A. Tversky grâce à la « théorie des possibilités ». Par exemple, des courtiers en bourse tendent à fuir le risque s’ils ont gagné la veille, mais prennent davantage de risques s’ils ont perdu la veille. Le point d’ancrage choisi va provoquer des émotions contraires qui donneront lieu à des décisions tout à fait différentes.
Les collaborateurs d’une entreprise exprimaient ainsi lors d’un audit culturel qu’ils ne prenaient réellement des décisions qu’en situation de crise, lorsqu’ils sentaient l’imminence d’un danger. En temps normal, les décisions n’étaient prises que sur des temps très longs, ou bien n’étaient pas suivies par les collaborateurs. Or, cette entreprise s’était fortement développée grâce à l’action d’un leader charismatique qui avait été Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Inconsciemment, elle avait donc développé d’excellentes aptitudes à gérer les situations de crise qui faisaient vibrer les collaborateurs, mais elle ne savait pas mobiliser ses ressources pour un quotidien plus terne. Cet exemple montre bien que l’émotivité a de l’importance dans la prise de décision. Hyper sollicitée en temps de crise, elle était totalement émoussée le reste du temps, et les collaborateurs adoptaient un mode de fonctionnement qui pourrait être qualifié de « dépressif » (sensibilité émoussée, perte de motivation, difficulté à agir, procrastination…).
Des paramètres d’ordre symbolique entrent également en jeu dans la prise de décision. N. Aubert et V. de Gaulejac notent que le management participatif sollicite le psychisme et l’imaginaire des collaborateurs plus que par le passé où les organisations pyramidales imposaient des règles fixées par d’autres. Il ne s’agit plus d’imposer un ordre de l’extérieur, mais de susciter, de l’intérieur, une adhésion à un projet collectif auquel l’individu s’identifie. C’est ce qu’ils appellent « l’identité organisationnelle ». Cette identité prend d’autant plus d’importance dans les entreprises que les identités issues des structures traditionnelles de la société s’affaiblissent (statut social, familial…). L’identité de la personne en tant que membre d’une entreprise donnée peut prendre alors un rôle très important dans l’équilibre personnel.
Dès lors, la culture d’entreprise, siège de l’ordre symbolique, joue un rôle capital dans la prise de décision. Lors d’un audit culturel d’une entreprise, nous nous étions étonnés de la pratique suivante : tous les produits étaient peints, alors qu’aucun concurrent ne le faisait et que ce n’était pas demandé par ses clients. Dans une période de réduction de coûts, cela semblait étrange. En fait, les collaborateurs de cette entreprise considéraient leur travail comme une œuvre d’art. C’était le sens symbolique qu’ils donnaient à leur travail, qui fondait leur identité professionnelle et leur motivation. Ainsi, le décideur est influencé par le sens qu’il donne à son action individuelle dans ce collectif, et parfois sa décision vise, plus ou moins consciemment, à renforcer cet ordre symbolique.
En dernier lieu, des paramètres sociaux jouent également un rôle important dans la prise de décision. Le décideur va-t-il choisir la solution consensuelle, inhabituelle ou provocatrice pour le groupe ? Est-il prêt à se démarquer des autres, et cela va-t-il venir fragiliser l’assise de son identité organisationnelle ?Là encore, la culture joue un rôle important. Une entreprise investissait beaucoup dans les chantiers sur le management, et voulait favoriser le leadership. Malheureusement, toutes les actions entreprises tardaient à atteindre leur objectif. En tentant de comprendre ce qui se passait, des paramètres sociaux sont apparus au premier plan. Les managers craignaient d’être considérés par les autres comme des personnes paresseuses qui avaient « la bonne planque » s’ils consacraient plus de temps à leurs activités managériales. La culture de cette entreprise valorisait l’expertise. Si des personnes, qui plus est des décideurs, s’en éloignaient, cela touchait au sens donné par l’ensemble des collaborateurs à leur action. Socialement, les décideurs ne pouvaient faire l’affront à leurs collaborateurs de leur montrer que d’autres tâches que l’expertise généraient de la valeur.
Conclusion
Envisager l’influence de la culture d’une entreprise donnée sur la prise de décision de ses collaborateurs est donc une question fondamentale qui se pose lorsque des changements semblent nécessaires. C’est un travail qui demande un certain courage, car il implique d’être ouvert au questionnement d’un système de pensée afin d’évaluer sa pertinence au regard des enjeux de l’environnement. Il ne peut se faire avec efficacité qu’avec le soutien du comité de direction.
Certaines entreprises, conscientes de leur difficulté à remettre en cause les normes établies pour innover, rachètent des start-up de leur secteur en leur laissant une liberté totale sur leur propre organisation, afin qu’elles puissent conserver la légèreté de leur structure pour continuer à innover, mais aussi qu’elles ne soient pas déterminées par le système de pensée de l’entreprise. Ces initiatives sont très intéressantes, mais se limitent à une activité précise dans l’entreprise. Or dans certains contextes, les opérationnels aussi doivent innover pour mieux s’adapter aux enjeux de leur poste. Lorsque quelque chose grippe dans les mécanismes de prise de décision des opérationnels, un travail sur la culture d’entreprise permet de gagner beaucoup de temps dans la compréhension des causes et la mise en place d’actions efficaces.
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